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Ordonnance de la Chambre du Conseil

du Tribunal de première instance de Bruxelles

La Chambre du Conseil a rendu en audience publique le 18 août 2006, suites à des débats à huis clos, l'ordonnance ci-dessous concernant le Docteur B.D..

Cette ordonnance porte la référence "Parquet No 46.993.2726/04" et peut être consultée sur simple demande, dans sa version intégrale, au greffe du tribunal de première instance de Bruxelles.



TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE BRUXELLES


Parquet No 46.993.2726/04 Greffe No

A l'audience publique du 18 août 2006
la 40ème chambre du tribunal de première instance de Bruxelles,
assurant le service de la chambre du conseil en matière pénal
prononce l'ordonnance suivante :

EN CAUSE DE: Monsieur le Procureur du Roi, agissant au nom de son office

ET: Monsieur CAILLIAU Philippe et Madame KOPF Josiane, parties civiles

CONTRE: 1. B.D. ..., médecin, .. Kraainem, ...;
2.

Inculpé de ou d'avoir,

dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles,
- pour avoir exécuté l'infraction ou coopéré directement à son exécution;
- pour avoir, par une fait quelconque, prêté pour son exécution une aide telle que sans leur assistance, le crime ou le délit n'aurait pu être commis;
- pour avoir, par dons, promesse, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, directement provoqué à ce crime ou à ce délit;

le premier (B.D.) et le deuxième (...)

entre le 4 mai 2004 et le 30 mai 2004,

par défaut de prévoyance ou de précaution, mais sans intention d'attenter à la personne d'autrui, involontairement causé la mort de Mélanie CAILLIAU;

- Vu les pièces de la procédure,

y compris le procès-verbal de constitution de partie civile,

et le réquisitoire ci-contre;

Vu le récépissé des lettres recommandées envoyées le 13.01.2006

par le greffier à l'inculpé B.D. et à son conseil Me VALVEKENS Marc

ainsi qu'aux parties civiles Monsieur CAILLIAU Philippe et Madame KOPF Josiane ainsi qu'à leur conseil Me DEJEMEPPE Anne,

Vu le PV d'ajournement du 10/04/2006 et celui du 15/06/2006 (mise en continuation);

A l'audience du 19/06/2006 où siégeaient Mme BEHETS-WYDEMANS, juge unique assistée de Mme VAN DER HOEVEN, greffier adj.del.

- Ouï M. FREYNE
juge d'instruction, en son rapport du 16/06/2006

- Ouï Madame KOPF Josiane et Monsieur CAILLIAU Philippe parties civiles en leurs moyens
- assistées de leurs conseils Mtre LOUPPE Olivier et Mtre CRUYPLANTS Jean qui déposent des conclusions le 15/06/2006

- Ouï Mme SCHMITZ, premier substitut du Procureur du Roi,
en ses réquisitions;

- Ouï l'inculpé en ses moyens et explications,

assisté de ses conseils, Mtre THIRY Eric qui dépose des conclusions et des pièces en date du 15/06/2006 et Mtre LEFEBVRE T. loco VALVEKENS Marc qui dépose des conclusions additionnelles

Attendu que, le 29 mai 2004 à 3 heures du matin, Mélanie Caillau, âgée de 22 ans est amenée par ses parents, évanouie, aux Cliniques Universitaires Saint-Luc,

A son arrivée, les services médicaux constatent qu'il s'agit d'une patiente en arrêt cardiorespiratoire évanouie, avec mydriase aréflective et ECG entièrement plat,

Une réanimation est immédiatement tentée entre 3 heures 15 et 3heures 40 mais sans suite, l'intéressée est décédée,

Une autopsie clinico-scientifique est effectuée le même jour et l'examen macroscopique fait diagnostiquer une myocardite (défaillance cardiaque suite à une infection du muscle cardiaque) grave d'origine inconnue (éventuellement en relation avec la varicelle dont elle a souffert) avec effet sur les poumons, le foie et la rate suite à une décompensation cardiaque.

*

Le 4 novembre 2004, Philippe Caillau et Josiane Kopf, parents de Mélanie Caillau déposent plainte avec constitution de partie civile entre les mains de Monsieur le Juge d'Instruction ..., à l'encontre des docteur B.D. et CM du chef d'homicide involontaire ou de toute autre infraction qui pourrait être mise en lumière par les éléments de l'enquête,


Ils exposent à cet effet :

Que le 16 avril 2004, leur fille Mélanie, âgée de 22 ans, a souffert de la varicelle alors qu'elle séjournait en Alsace,

Que le médecin qui l'a soignée lui a conseillé de reprendre contact avec un médecin à Bruxelles au moindre problème,

Qu'à son retour en Belgique la jeune fille s'est plainte de fatigue et de difficulté à respirer,

Que le 5 mai 2004 elle se rend à la consultation du docteur B.D. où elle est reçue par son remplaçant le docteur C.M., qui lui prescrit du Magnecaps et lui reconnaît une incapacité de travail de 3 jours,

Que le 10 mai 2004, elle prend contact téléphoniquement avec le docteur B.D. pour se plaindre de rétention d'eau (5 kilos) de fatigue prononcée et d'essoufflement,

Que ce dernier lui explique que ces symptômes peuvent être la conséquence de la varicelle contractée au mois d'avril, l'invite à le contacter à nouveau si les symptômes persistent,

Que le 12 mai 2004, elle se plaint toujours au docteur B.D., par téléphone, des mêmes symptômes, demande si une analyse de sang n'est pas nécessaire, ce à quoi le médecin répond que c'est inutile,

Que le 27 mai elle reprend encore une fois contact avec le docteur B.D. parce que la fatigue persiste, qu'elle a des problèmes respiratoires, de rétention d'eau, d'essoufflement au moindre effort et de douleurs au niveau du ventre et du dos, et demande un examen urgent, suite à quoi le médecin lui donne rendez-vous le lendemain,

Que le vendredi 28 mai 2004, du fait qu'elle ne peut quasiment pas se déplacer c'est la mère de la jeune fille qui conduit celle-ci au cabinet du docteur B.D.,

Qu'elle se plaint de forts maux de dos et de ventre, elle expose qu'elle n'a rien pu avaler depuis la veille,

Que durant la consultation, elle tombe inanimée, sa tension artérielle est de 6,5.

Que le docteur B.D. lui prescrit des médicaments pour le foie,

Que la mère demande s'il n'est pas opportun de l'hospitaliser,

Que le médecin répond que dimanche elle va se sentir mieux, explique son mal de dos par le fait que, vu sa petite taille, ses intestins pressent sa colonne vertébrale,

Que quelques heures plus tard, soit le 29 mai vers 3 heures du matin, comme rappelé ci-dessus, les parents conduisent la jeune fille inconsciente aux urgences des cliniques Saint-Luc où les médecins ne peuvent que constater son décès,

Que l'autopsie, comme également rappelé ci-dessus, permettra aux experts de conclure au décès par myocardite sévère, d'étiologie indéterminée, accompagnée de lésions pulmonaires, hépatique et splénique de décompensation cardiaque.

*

Le docteur VDV a été chargé par le juge d'instruction Freyne d'établir un rapport portant essentiellement sur les fautes ou manquements éventuels qui auraient été commis dans le cadre du traitement rappelé, par le docteur B.D. et le docteur C.M.,

A cet effet, l'expert a déposé un premier rapport, le 12 mai 2005 après avoir examiné le dossier de la procédure ainsi que le dossier médical des cliniques Saint Luc,

De ce rapport, il résulte que :

"Les symptômes présentés par Mélanie Caillau , notamment la rétention d'eau combinée à l'essoufflement et la fatigue croissante, surtout à l'âge aussi jeune que 22 ans doivent toujours être considérés comme sérieux, (... ) Il n'y a pas de doute que ces symptômes constituaient l'expression d'une défaillance cardiaque allant en s'amplifiant. Il est aussi clair que les médecins et particulièrement le docteur B.D., avec qui la patiente a eu plusieurs contacts n'a pas reconnu la gravité de ces symptômes, ce qui doit être considéré comme un manquement diagnostique. Chez tout jeune adulte présentant ces symptômes un examen approfondi pour exclure les maladies cardiaques et rénales est obligatoire. Très particulièrement c'est lors de la consultation du 28 mai 2004 qu'il y a une grave méconnaissance de la situation, quelques heures avant son décès.(...) Il n'y a aucun doute que l'intéressée devait être à ce moment là hospitalisée d'urgence. Il s'agit en effet des caractéristiques d'une décompression cardiaque préterminale pour laquelle une assistance spécialisée s'imposait d'urgence. (...}"

L'expert conclut dès lors à ce que dans le contexte donné, sur la base des données disponibles, « il semble que c'est une défaillance grave que le docteur B.D. n'ait pas décidé, le 28 05 04 en fin d'après-midi dans le cadre de l'évanouissement pendant la consultation en son cabinet médical de faire hospitaliser d'urgence ».

Par la suite, après avoir pris connaissance du dossier médical saisi chez le docteur B.D., l'expert confirmera ses conclusions à savoir la sous-estimation de la gravité de la situation par le docteur B.D. le 28 mai 2004 et l'action inadéquate subséquente.

En ce qui concerne le docteur CM, l'expert estime, en ce qui concerne ce deuxième inculpé - qui ne sera contrairement aux affirmations de la partie civile (cfr. conclusions p.10), jamais inculpé ni jamais interrogé dans le cadre de la procédure - qu'il n'y a pas d'indication de manquements dans son activité médicale, (cfr. Rapport du 01.07.2005).

*

Suite à ces éléments versés au dossier, le docteur B.D. a été entendu de manière circonstanciée le 28 septembre 2005,

Il déclare notamment que ni l'essoufflement ni la prise de poids n'auraient été évoquées par la patiente,

Le jour de la consultation du 28 mai 2005, il déclare avoir attribué sa tension basse, son malaise vagal, son hyperventilation à la conjonction du blocus de 2ème licence et des suite de la varicelle.

Il expose avoir procédé à un interrogatoire précis et fouillé et pratiqué un examen clinique long et soigneux de « peur de passer à côté d'un diagnostic organique vu l'intensité des plaintes psychologiques",

Il reconnaît a posteriori avoir mal évalué la situation et avoir eu une attitude thérapeutique non-adéquate,

Force est de constater que les déclarations du docteur B.D. ne contiennent aucun élément de nature à rencontrer la défaillance essentielle mise en évidence par l'expert à savoir : non pas de ne pas avoir diagnostiqué la complication - exceptionnelle - de la varicelle mais, vu la gravité des symptômes, de ne pas l'avoir fait hospitaliser en vue de pratiquer des examens spécialisés et lui délivrer les soins appropriés,

*

Attendu par ailleurs, qu'en termes de conclusions, l'inculpé critique l'expertise au motif qu'elle a été menée de façon unilatérale,

Attendu que les dispositions du Code judiciaire en la matière ne sont pas d'application à l'expertise ordonnée dans le cadre d'une instruction pénale,

Qu'il y a lieu en outre d'observer que le docteur B.D. n'a pas usé du droit que lui confrère l'article 61 quinquies du Code d'instruction criminelle,

*

Attendu que, concernant le docteur B.D., premier inculpé, les manquements mis en évidence ci-dessus, pourraient s'analyser comme le défaut de prévoyance et de précaution visés au titre d'éléments constitutifs de l'infraction d'homicide involontaire aux articles 418 et 419 du Code pénal, et justifient le renvoi de l'inculpé devant le tribunal correctionnel,

Qu'en ce qui concerne le Docteur C.M., il n'existe aucune charge justifiant son renvoi devant le tribunal correctionnel,

*

Attendu néanmoins que le premier inculpé sollicite à titre subsidiaire la suspension du prononcé de la condamnation,

Attendu que cet inculpé remplit les conditions légales pour bénéficier de cette mesure de faveur, puisqu'il n'a pas encouru de condamnation à une peine supérieure à six mois d'emprisonnement et que le fait ne paraît pas de nature à entraîner comme peine principale un emprisonnement correctionnel supérieur à cinq ans,

Que certes, le défaut de prévoyance ou de précaution dont l'inculpé se serait rendu coupable a eu des conséquences tragiques et irréparables,

Qu'il apparaît néanmoins, du dossier produit par l'inculpé que celui-ci exerce sa profession depuis vingt ans en tant que médecin généraliste, enseigne à la faculté de médecine de l'U.C.L. et jouit d'une excellente réputation,

Qu'en outre, en vertu de l'article 3 a1.2 de la loi du 29 juin 1964, concernant la suspension, le sursis et la probation, cette mesure peut être accordée par les juridictions d'instruction lorsqu'elles estiment que la publicité des débats pourrait provoquer le déclassement de l'inculpé ou compromettre son reclassement,

Que tel est bien le cas en l'espèce,

Qu'il paraît évident qu'une publicité de cette affaire risque d'avoir pour conséquence de détourner les patients de l'inculpé vers d'autres médecins,

Qu'il y a dès lors lieu de faire droit à la demande de l'inculpé et d'accorder la mesure de suspension du prononcé de la condamnation,

Attendu que les faits sont établis;

Attendu que cet inculpé n'a pas encouru antérieurement de condamnation à une peine criminelle ou à un emprisonnement correctionnel de plus de six mois;

Attendu que les faits mis à charge de cet inculpé ne paraissent pas de nature à entraîner comme peine principale un emprisonnement correctionnel supérieur à cinq ans ou une peine plus grave;

Par ces motifs,

LA CHAMBRE DU CONSEIL

Par application des dispositions légales indiquées par le président,

soit les articles : 66, 418, 419 du code pénal,

- 66.67.127. 154.162. 185. 189 du code d'instruction criminelle,

- 2 de la loi du 4 octobre 1867, remplacé par l'article 1er de la loi du 1er février 1977 et la loi du 6 février 1985;
-11.12.13.16.21.31 à 37.40 à 42 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, mod. par la loi du 24 mars 1980 ;

-1.3.4.6.7.9.10 et 20 de la loi du 29.6.1964, concernant la suspension, le sursis et la probation, mod. par la loi du 10.2.1994 et par la loi du 22.3.2000;

- loi du 12 mars 1998,

- 3,4 de la loi du 17/4/1878 contenant le titre préliminaire du code d'instruction criminelle,

-1382. 13 83.13 84. du Code civil ;

STATUANT CONTRADICTOIREMENT

- Dit que la prévention est établie

dans le chef de l'inculpé B.D.

- Ordonne la suspension simple du prononcé de la condamnation pour une période
de TROIS ans.

- Condamne le prévenu aux frais de l'action publique, taxés au total actuel de 381,78 Euros

Et statuant sur les demandes des parties civiles :

- Attendu qu'en ce qui concerne cet inculpé, les éléments du dossier ne permettent pas d'évaluer le dommage imputable à ce dernier,

Qu'il y a lieu à ce stade de fixer ce dommage à un euro provisionnel,

PAR CES MOTIFS,

Condamne l'inculpé à payer le dommage d'un euro provisionnel aux parties civiles

Réserve à statuer quant à la demande éventuelle des parties civiles Monsieur CAILLIAU Philippe et Madame KOPF Josiane, pour réparation du dommage subi;

Réserve à statuer quant aux éventuels intérêts civils;

Prononcé en audience publique où siégeaient :

Mme BEHETS-WYDEMANS juge unique
Mme DEVREUX premier substitut du procureur du Roi
M. MEULENYSER greffier adjoint délégué

Approuvé la biffure de lignes et de mots nuls.

Signé : ... ...