A l'audience publique du 18 août 2006
la 40ème chambre du tribunal de première instance
de Bruxelles,
assurant le service de la chambre du conseil en matière pénal
prononce l'ordonnance suivante :
EN CAUSE DE: Monsieur le Procureur du Roi, agissant au nom de son
office
ET: Monsieur CAILLIAU Philippe et Madame KOPF Josiane, parties
civiles
CONTRE: 1. B.D. ..., médecin, .. Kraainem, ...;
2.
Inculpé de ou d'avoir,
dans l'arrondissement judiciaire de Bruxelles,
- pour avoir exécuté l'infraction ou coopéré
directement à son exécution;
- pour avoir, par une fait quelconque, prêté pour son
exécution une aide telle que sans leur assistance, le crime
ou le délit n'aurait pu être commis;
- pour avoir, par dons, promesse, menaces, abus d'autorité
ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, directement
provoqué à ce crime ou à ce délit;
le premier (B.D.) et le deuxième (...)
entre le 4 mai 2004 et le 30 mai 2004,
par défaut de prévoyance ou de précaution,
mais sans intention d'attenter à la personne d'autrui, involontairement
causé la mort de Mélanie CAILLIAU;
- Vu les pièces de la procédure,
y compris le procès-verbal de constitution de partie civile,
et le réquisitoire ci-contre;
Vu le récépissé des lettres recommandées
envoyées le 13.01.2006
par le greffier à l'inculpé B.D. et à son conseil
Me VALVEKENS Marc
ainsi qu'aux parties civiles Monsieur CAILLIAU Philippe et Madame
KOPF Josiane ainsi qu'à leur conseil Me DEJEMEPPE Anne,
Vu le PV d'ajournement du 10/04/2006 et celui du 15/06/2006 (mise
en continuation);
A l'audience du 19/06/2006 où siégeaient Mme BEHETS-WYDEMANS,
juge unique assistée de Mme VAN DER HOEVEN, greffier adj.del.
- Ouï M. FREYNE
juge d'instruction, en son rapport du 16/06/2006
- Ouï Madame KOPF Josiane et Monsieur CAILLIAU Philippe parties
civiles en leurs moyens
- assistées de leurs conseils Mtre LOUPPE Olivier et Mtre CRUYPLANTS Jean qui déposent
des conclusions le 15/06/2006
- Ouï Mme SCHMITZ, premier substitut du Procureur du Roi,
en ses réquisitions;
- Ouï l'inculpé en ses moyens et explications,
assisté de ses conseils, Mtre THIRY Eric qui dépose des
conclusions et des pièces en date du 15/06/2006 et Mtre LEFEBVRE T. loco VALVEKENS Marc
qui dépose des conclusions additionnelles
Attendu que, le 29 mai 2004 à 3 heures du matin, Mélanie
Caillau, âgée de 22 ans est amenée par ses parents,
évanouie, aux Cliniques Universitaires Saint-Luc,
A son arrivée, les services médicaux constatent qu'il
s'agit d'une patiente en arrêt cardiorespiratoire évanouie,
avec mydriase aréflective et ECG entièrement plat,
Une réanimation est immédiatement tentée entre
3 heures 15 et 3heures 40 mais sans suite, l'intéressée
est décédée,
Une autopsie clinico-scientifique est effectuée le même
jour et l'examen macroscopique fait diagnostiquer une myocardite
(défaillance cardiaque suite à une infection du muscle
cardiaque) grave d'origine inconnue (éventuellement en relation
avec la varicelle dont elle a souffert) avec effet sur les poumons,
le foie et la rate suite à une décompensation cardiaque.
*
Le 4 novembre 2004, Philippe Caillau et Josiane Kopf, parents de
Mélanie Caillau déposent plainte avec constitution
de partie civile entre les mains de Monsieur le Juge d'Instruction
..., à l'encontre des docteur B.D. et CM du chef d'homicide
involontaire ou de toute autre infraction qui pourrait être
mise en lumière par les éléments de l'enquête,
Ils exposent à cet effet :
Que le 16 avril 2004, leur fille Mélanie, âgée
de 22 ans, a souffert de la varicelle alors qu'elle séjournait
en Alsace,
Que le médecin qui l'a soignée lui a conseillé
de reprendre contact avec un médecin à Bruxelles au
moindre problème,
Qu'à son retour en Belgique la jeune fille s'est plainte
de fatigue et de difficulté à respirer,
Que le 5 mai 2004 elle se rend à la consultation du docteur
B.D. où elle est reçue par son remplaçant le
docteur C.M., qui lui prescrit du Magnecaps et lui reconnaît
une incapacité de travail de 3 jours,
Que le 10 mai 2004, elle prend contact téléphoniquement
avec le docteur B.D. pour se plaindre de rétention d'eau (5
kilos) de fatigue prononcée et d'essoufflement,
Que ce dernier lui explique que ces symptômes peuvent être
la conséquence de la varicelle contractée au mois
d'avril, l'invite à le contacter à nouveau si les
symptômes persistent,
Que le 12 mai 2004, elle se plaint toujours au docteur B.D., par
téléphone, des mêmes symptômes, demande
si une analyse de sang n'est pas nécessaire, ce à
quoi le médecin répond que c'est inutile,
Que le 27 mai elle reprend encore une fois contact avec le docteur
B.D. parce que la fatigue persiste, qu'elle a des problèmes
respiratoires, de rétention d'eau, d'essoufflement au moindre
effort et de douleurs au niveau du ventre et du dos, et demande
un examen urgent, suite à quoi le médecin lui donne
rendez-vous le lendemain,
Que le vendredi 28 mai 2004, du fait qu'elle ne peut quasiment
pas se déplacer c'est la mère de la jeune fille qui
conduit celle-ci au cabinet du docteur B.D.,
Qu'elle se plaint de forts maux de dos et de ventre, elle expose
qu'elle n'a rien pu avaler depuis la veille,
Que durant la consultation, elle tombe inanimée, sa tension
artérielle est de 6,5.
Que le docteur B.D. lui prescrit des médicaments pour le
foie,
Que la mère demande s'il n'est pas opportun de l'hospitaliser,
Que le médecin répond que dimanche elle va se sentir
mieux, explique son mal de dos par le fait que, vu sa petite taille,
ses intestins pressent sa colonne vertébrale,
Que quelques heures plus tard, soit le 29 mai vers 3 heures du
matin, comme rappelé ci-dessus, les parents conduisent la
jeune fille inconsciente aux urgences des cliniques Saint-Luc où
les médecins ne peuvent que constater son décès,
Que l'autopsie, comme également rappelé ci-dessus,
permettra aux experts de conclure au décès par myocardite
sévère, d'étiologie indéterminée,
accompagnée de lésions pulmonaires, hépatique
et splénique de décompensation cardiaque.
*
Le docteur VDV a été chargé par le juge d'instruction
Freyne d'établir un rapport portant essentiellement sur les
fautes ou manquements éventuels qui auraient été
commis dans le cadre du traitement rappelé, par le docteur
B.D. et le docteur C.M.,
A cet effet, l'expert a déposé un premier rapport,
le 12 mai 2005 après avoir examiné le dossier de la
procédure ainsi que le dossier médical des cliniques
Saint Luc,
De ce rapport, il résulte que :
"Les symptômes présentés par Mélanie
Caillau , notamment la rétention d'eau combinée à
l'essoufflement et la fatigue croissante, surtout à l'âge
aussi jeune que 22 ans doivent toujours être considérés
comme sérieux, (... ) Il n'y a pas de doute que ces symptômes
constituaient l'expression d'une défaillance cardiaque allant
en s'amplifiant. Il est aussi clair que les médecins et particulièrement
le docteur B.D., avec qui la patiente a eu plusieurs contacts n'a
pas reconnu la gravité de ces symptômes, ce qui doit
être considéré comme un manquement diagnostique.
Chez tout jeune adulte présentant ces symptômes un
examen approfondi pour exclure les maladies cardiaques et rénales
est obligatoire. Très particulièrement c'est lors
de la consultation du 28 mai 2004 qu'il y a une grave méconnaissance
de la situation, quelques heures avant son décès.(...)
Il n'y a aucun doute que l'intéressée devait être
à ce moment là hospitalisée d'urgence. Il s'agit
en effet des caractéristiques d'une décompression
cardiaque préterminale pour laquelle une assistance spécialisée
s'imposait d'urgence. (...}"
L'expert conclut dès lors à ce que dans le contexte
donné, sur la base des données disponibles, «
il semble que c'est une défaillance grave que le docteur
B.D. n'ait pas décidé, le 28 05 04 en fin d'après-midi
dans le cadre de l'évanouissement pendant la consultation
en son cabinet médical de faire hospitaliser d'urgence ».
Par la suite, après avoir pris connaissance du dossier médical
saisi chez le docteur B.D., l'expert confirmera ses conclusions à
savoir la sous-estimation de la gravité de la situation par
le docteur B.D. le 28 mai 2004 et l'action inadéquate subséquente.
En ce qui concerne le docteur CM, l'expert estime, en ce qui concerne
ce deuxième inculpé - qui ne sera contrairement aux
affirmations de la partie civile (cfr. conclusions p.10), jamais
inculpé ni jamais interrogé dans le cadre de la procédure
- qu'il n'y a pas d'indication de manquements dans son activité
médicale, (cfr. Rapport du 01.07.2005).
*
Suite à ces éléments versés au dossier,
le docteur B.D. a été entendu de manière circonstanciée
le 28 septembre 2005,
Il déclare notamment que ni l'essoufflement ni la prise
de poids n'auraient été évoquées par
la patiente,
Le jour de la consultation du 28 mai 2005, il déclare avoir
attribué sa tension basse, son malaise vagal, son hyperventilation
à la conjonction du blocus de 2ème licence et des
suite de la varicelle.
Il expose avoir procédé à un interrogatoire
précis et fouillé et pratiqué un examen clinique
long et soigneux de « peur de passer à côté
d'un diagnostic organique vu l'intensité des plaintes psychologiques",
Il reconnaît a posteriori avoir mal évalué
la situation et avoir eu une attitude thérapeutique non-adéquate,
Force est de constater que les déclarations du docteur B.D.
ne contiennent aucun élément de nature à rencontrer
la défaillance essentielle mise en évidence par l'expert
à savoir : non pas de ne pas avoir diagnostiqué la
complication - exceptionnelle - de la varicelle mais, vu la gravité
des symptômes, de ne pas l'avoir fait hospitaliser en vue
de pratiquer des examens spécialisés et lui délivrer
les soins appropriés,
*
Attendu par ailleurs, qu'en termes de conclusions, l'inculpé
critique l'expertise au motif qu'elle a été menée
de façon unilatérale,
Attendu que les dispositions du Code judiciaire en la matière
ne sont pas d'application à l'expertise ordonnée dans
le cadre d'une instruction pénale,
Qu'il y a lieu en outre d'observer que le docteur B.D. n'a pas usé
du droit que lui confrère l'article 61 quinquies du Code
d'instruction criminelle,
*
Attendu que, concernant le docteur B.D., premier inculpé,
les manquements mis en évidence ci-dessus, pourraient s'analyser
comme le défaut de prévoyance et de précaution
visés au titre d'éléments constitutifs de l'infraction
d'homicide involontaire aux articles 418 et 419 du Code pénal,
et justifient le renvoi de l'inculpé devant le tribunal correctionnel,
Qu'en ce qui concerne le Docteur C.M., il n'existe aucune charge
justifiant son renvoi devant le tribunal correctionnel,
*
Attendu néanmoins que le premier inculpé sollicite
à titre subsidiaire la suspension du prononcé de la
condamnation,
Attendu que cet inculpé remplit les conditions légales
pour bénéficier de cette mesure de faveur, puisqu'il
n'a pas encouru de condamnation à une peine supérieure
à six mois d'emprisonnement et que le fait ne paraît
pas de nature à entraîner comme peine principale un
emprisonnement correctionnel supérieur à cinq ans,
Que certes, le défaut de prévoyance ou de précaution
dont l'inculpé se serait rendu coupable a eu des conséquences
tragiques et irréparables,
Qu'il apparaît néanmoins, du dossier produit par l'inculpé
que celui-ci exerce sa profession depuis vingt ans en tant que médecin
généraliste, enseigne à la faculté de
médecine de l'U.C.L. et jouit d'une excellente réputation,
Qu'en outre, en vertu de l'article 3 a1.2 de la loi du 29 juin
1964, concernant la suspension, le sursis et la probation, cette
mesure peut être accordée par les juridictions d'instruction
lorsqu'elles estiment que la publicité des débats
pourrait provoquer le déclassement de l'inculpé ou
compromettre son reclassement,
Que tel est bien le cas en l'espèce,
Qu'il paraît évident qu'une publicité
de cette affaire risque d'avoir pour conséquence de détourner
les patients de l'inculpé vers d'autres médecins,
Qu'il y a dès lors lieu de faire droit à
la demande de l'inculpé et d'accorder la mesure de suspension
du prononcé de la condamnation,
Attendu que les faits sont établis;
Attendu que cet inculpé n'a pas encouru antérieurement
de condamnation à une peine criminelle ou à un emprisonnement
correctionnel de plus de six mois;
Attendu que les faits mis à charge de cet inculpé
ne paraissent pas de nature à entraîner comme peine
principale un emprisonnement correctionnel supérieur à
cinq ans ou une peine plus grave;
Par ces motifs,
LA CHAMBRE DU CONSEIL
Par application des dispositions légales indiquées
par le président,
soit les articles : 66, 418, 419 du code pénal,
- 66.67.127. 154.162. 185. 189 du code d'instruction criminelle,
- 2 de la loi du 4 octobre 1867, remplacé par l'article
1er de la loi du 1er février 1977 et la loi du 6 février
1985;
-11.12.13.16.21.31 à 37.40 à 42 de la loi du 15 juin
1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, mod.
par la loi du 24 mars 1980 ;
-1.3.4.6.7.9.10 et 20 de la loi du 29.6.1964, concernant la suspension,
le sursis et la probation, mod. par la loi du 10.2.1994 et par la
loi du 22.3.2000;
- loi du 12 mars 1998,
- 3,4 de la loi du 17/4/1878 contenant le titre préliminaire
du code d'instruction criminelle,
-1382. 13 83.13 84. du Code civil ;
STATUANT CONTRADICTOIREMENT
- Dit que la prévention est établie
dans le chef de l'inculpé B.D.
- Ordonne la suspension simple du prononcé de la condamnation
pour une période
de TROIS ans.
- Condamne le prévenu aux frais de l'action publique, taxés
au total actuel de 381,78 Euros
Et statuant sur les demandes des parties civiles :
- Attendu qu'en ce qui concerne cet inculpé, les éléments
du dossier ne permettent pas d'évaluer le dommage imputable
à ce dernier,
Qu'il y a lieu à ce stade de fixer ce dommage à un
euro provisionnel,
PAR CES MOTIFS,
Condamne l'inculpé à payer le dommage d'un euro provisionnel
aux parties civiles
Réserve à statuer quant à la demande éventuelle
des parties civiles Monsieur CAILLIAU Philippe et Madame KOPF Josiane,
pour réparation du dommage subi;
Réserve à statuer quant aux éventuels intérêts
civils;
Prononcé en audience publique où siégeaient
:
Mme BEHETS-WYDEMANS juge unique
Mme DEVREUX premier substitut du procureur du Roi
M. MEULENYSER greffier adjoint délégué
Approuvé la biffure de lignes et de mots nuls.
Signé : ... ... |